Critiques

Critique – The Tree of Life

Beauté cachée

C’est encore sous l’effet du vertige qui m’étreint que je vous écris ces quelques mots. Et pourtant, THE TREE OF LIFE, aussi renversant de beauté soit-il, n’est pas une œuvre facile à appréhender et encore moins à évaluer. C’est une épreuve, un chemin de croix, une lente interpellation de nos émotions. Il faut alors accepter de sauter à pieds joints dans une œuvre qui ne demande qu’un abandon de nos forces vitales. De la mise à distance initiale (celle d’une première expérience où ennui, vacuité et emphase peuvent sonner comme des condamnations) à l’embrasement qui s’ensuit, Malick nous tend la main pour mieux la lâcher dans univers sans véritable limite. Il ne faudrait surtout pas y voir la prétention d’un réalisateur qui fabriquerait des images comme il ferait l’amour avec elles. Malick est un plus qu’un romantique, c’est un humaniste. Ses élégies visuelles se construisent dans la tristesse et l’infini ; et sont par-dessus tout des films qui cherchent, au risque de nous perdre.

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 « Il y a deux voies dans la vie : celle de la nature et celle de la grâce » nous prophétisait Jessica Chastain dans THE TREE OF LIFE. Car l’œuvre de Malick ne sera que grâce et Nature, beauté et silence, symphonies et sublime. En contant le récit d’une famille américaine moyenne dans le Texas des années 50, Malick part peut-être à la recherche de sa propre enfance et célèbre ainsi, non sans une certaine mélancolie, la puissance du souvenir : la beauté est là, dans un monde saisi à travers ses impressions, ses fêlures et son fourmillement. On croirait presque retrouver la première partie de son Badlands et notamment ce court moment où deux gosses jouaient à un coin de rue à la faveur de la nuit et sous le regard encore innocent de Sissy Spacek. Il y a dans THE TREE OF LIFE cette volonté de scruter les fondations ; toute une entreprise consistant à retourner à l’essence même des choses, à leur simplicité, à la matière brute qui constitue toute chose et tout être : c’est alors une chute dans le sublime que nous connaissons, épris par la beauté de ce ravissement.

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Malick questionne alors « l’esthétique » même et la manière de voir le monde à travers des images en mouvement. Un projet de « captation de la vie » dans sa globalité qui ne manque pas d’ambition, c’est certain. Dans sa recherche d’ouverture maximale sur le monde, Malick joue sur les échelles et la perte de repères, qu’ils soient temporels, spatiaux ou dimensionnels. Tel un maître à l’œuvre dans ce grand atelier qu’est le monde, Malick compose un tableau en mouvement où les coups de pinceaux en grand-angle se font troubles, attentionnés et aériens.

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Tout y est à fleur de peau, proche des sensations et des émotions. La caméra est ainsi constamment en déplacement ; un flottement dont Malick a fait sa marque de fabrique. Une réalisation ambitieuse donc, qui s’inspire de l’Œuvre divine de la Nature pour asseoir le pouvoir de ses images. En quête perpétuelle de beauté, THE TREE OF LIFE, Palme d’Or en 2011, s’apparenterait presque à un vif et doux souvenir tant il se veut fragmenté, déstructuré et vaporeux dans sa construction. Des plans extrêmement découpés qui ne sont que des fragments dans la pensée de celui qui se souvient. Un mouvement de flux et reflux ; ceux des souvenirs qui viennent puis s’oublient. Malick se détourne ainsi d’une narration limpide et codifiée pour laisser la grâce elliptique des images raconter leur propre histoire. En résultent des scènes flottantes où il est davantage question de sensations et d’impressions ; comme une plongée dans un tableau de Renoir où les touches lumineuses prendraient soudainement vie, 24 images à la seconde. Quand il est question de capter les secrets de cette nature, Malick excelle : les rayons de soleil transperçant les feuillages, la peau au contact de l’air, autant d’images que de sensations à portée de regard.

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THE TREE OF LIFE accomplit ainsi son œuvre dans la grandiloquence de ses images et la simplicité de son propos : du Tout découle l’intime ; de l’intime découle notre Tout. Ce petit cosmos qu’est le nôtre ; de quelques individus tournoyant autour d’un noyau familial. Une famille, une figure autoritaire (un Père rongé par ses propres Commandements), un deuil, un souvenir : le cheminement autour de la mémoire sera ainsi mis en parallèle avec la création du monde et les entrechoquements des planètes ; d’une séquence préhistorique à un voyage interstellaire où la musique sublime la beauté de cet univers. Une manière presque panthéiste de donner une dimension phénoménale à ce drame familial sur la nature des hommes qui naissent, vivent, aiment et pensent en voix-off. Une voix-off polyphonique qui nous perd autant qu’elle nous fascine ; semblable à une prière cosmique, à un murmure de l’au-delà, à un aveu fragile de Malick qui, entre questionnements vagues, doutes humains et pensées métaphysiques, invite à une introspection humaniste et personnelle. Dans ces paroles nébuleuses, les réponses y sont souvent cachées et chaque spectateur, aussi différent soit-il, y trouvera probablement les siennes (ou pas) ; à condition de se laisser porter par cette double voix et le susurrement de ces images.

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Comme si THE TREE OF LIFE n’avait que pour seul objectif la simple réminiscence de cet état perdu (l’enfance), de ce trauma originel où l’émotion afflue dans les racines évocatrices de cette œuvre incantatoire. THE TREE OF LIFE s’apparente ainsi à un voyage cérébral, à la poursuite de la mémoire et des liens qui nous unissent. Aussi impalpable qu’un songe, il invite à l’abandon de soi et à la contemplation d’un Tout ; le spectateur ondulant autour du film comme Jessica Chastain lévite autour d’un arbre. Nous ne sommes jamais loin de l’hallucination tant les plans nous saisissent comme dans un rêve. Parfois déroutant, toujours puissant, THE TREE OF LIFE méduse pour la simple beauté du geste : un film de racines aussi généalogiques qu’universelles où Malick concrétise un élan théorique et plastique vers le Sublime.

Note : 8/10

Extrait dans l’article « Les 100 films à retenir des années 2010« 

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2 réflexions au sujet de “Critique – The Tree of Life”

  1. Rare sont les articles qui décrivent aussi bien l’état du spectateur. Ce flot d’émotions que nous absorbons ne nous asphyxie pas, mais étrangement nous permet de flotter. Une sensibilité unique, une voix qui nous parviendrait au-delà du cosmos.
    Par contre, je ne suis pas certaine qu’il regrette son enfance et j’ai même le sentiment que chez lui la nostalgie n’existe pas.

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    1. Merci beaucoup Dominique. Malick est en effet particulièrement doué pour mettre en scène des émotions, des sensations et une certaine vision du monde. Après, je ne pense pas aussi que son film soit nimbé de regrets personnels vis-à-vis de son enfance ; Malick n’a peut-être pas l’air d’un nostalgique mais il en capte si bien la sensation car The Tree of Life est pourtant une oeuvre magnifique sur ce temps qui passe. En effet, son film transpire la grâce d’un temps perdu. Comme l’impression d’assister à un souvenir que l’on regarde avec nostalgie.

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